Vue du ciel, cette ville du sud de l’enclave palestinienne ressemble à un champ de ruines. Les dégâts sont confirmés au sol par les habitants de retour sur place et les ONG de la région.

Un calme relatif est revenu à Khan Younès. Et avec lui, des groupes de civils au milieu de rues dévastées. Depuis le retrait des soldats de la 98e division de commandos de l’armée israélienne, dimanche 7 avril, de plus en plus de déplacés retournent dans cette ville du sud de la bande de Gaza, où habitaient quelque 400 000 personnes avant la guerre entre Israël et le Hamas.

Pour l’armée israélienne, toutes les missions sur place ont été « accomplies », comme l’a déclaré Tsahal dans un communiqué dimanche. Qu’il s’agisse d’un coup d’arrêt ou d’une pause stratégique, avant une possible opération contre la ville de Rafah, plus au sud, cette annonce fait suite à six mois de bombardements accompagnés de combats au sol, qui ont rendu Khan Younès largement inhabitable. Images satellite à l’appui, franceinfo examine l’étendue des dégâts. 

Dimanche après-midi, quelques heures après le retrait des troupes israéliennes, une poignée de Palestiniens étaient déjà de retour à Khan Younès, parcourant des rues méconnaissables. « C’était une grande surprise, un choc total », relate Jehad Abu Hassan, coordinateur de l’ONG Première Urgence internationale. Les témoins présents sur place font état d’innombrables immeubles effondrés ou rasés. « Certains quartiers ont été totalement aplatis, comme on a déjà pu le voir à Gaza ville », rapporte le responsable humanitaire.

Depuis le ciel, le centre-ville de Khan Younès semble avoir été profondément affecté par les longues semaines de combats et d’occupation israélienne. Une analyse d’images satellite fournies par Planet Labs, prises aux premiers jours du conflit puis au début du mois d’avril, met en lumière les destructions « de très grande ampleur, à travers toute la ville », comme le décrit Jehad Abu Hassan. 

L’analyse des toits (leur état et leur nombre) montre qu’une grande partie des immeubles ont été endommagés, voire rayés de la carte. Certains ont été détruits au bulldozer, comme l’ont rapporté des témoins à l’AFP. A la place, il ne reste plus que des terrains vagues, hypothèse accréditée par l’absence d’ombre sur les images.

Au sol, les rues de certains quartiers ne ressemblent guère plus qu’à des pistes sableuses au milieu d’un amas de blocs de béton et de poutres métalliques. Les immeubles endommagés qui tiennent encore debout semblent pouvoir s’effondrer à tout moment. Aucune fenêtre ou presque n’a survécu aux échanges de tirs et aux bombardements à répétition. 

Vue d'ensemble d'un quartier détruit de Khan Younès (bande de Gaza), le 9 avril 2024, deux jours après le départ de l'armée israélienne. (YASSER QUDIH / ANADOLU / AFP)

Aux monts de gravats s’ajoute « la poussière omniprésente », souligne Pierre Motin, de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine. Ce nuage couleur sable grisâtre est visible depuis le ciel et se révèle très nocif pour la population. « Depuis le début de l’année 2024, l’Organisation mondiale de la santé note une montée en flèche des cas d’infections respiratoires dans la bande de Gaza », fait-il valoir.

Envahis par les populations civiles à la recherche d’un abri, les établissements de santé de Khan Younès ont également été ciblés, l’armée israélienne y suspectant la présence de cadres et de combattants du Hamas. Après avoir été mis hors d’état de fonctionner fin janvier, l’hôpital Nasser, le plus grand de la ville, est toujours fermé aux blessés. La clinique Muscat d’al-Qarara, plus en périphérie, s’est presque totalement effondrée sur elle-même. L’hôpital al-Salam, situé sur la route Salaheddine, principal axe routier de la bande de Gaza, est lui aussi hors service.

L’établissement à la façade verte, dont on distingue la rangée de panneaux solaires sur les images satellite, était reconnu avant la guerre pour son service de radiologie. Il n’est plus qu’une coquille vide au milieu d’un quartier dévasté, l’un des seuls immeubles encore debout, dressé au milieu des gravats. Marqué par des impacts de projectiles divers, il semble en partie incendié et toutes ses vitres ont été soufflées.

Les ruines de l'hôpital al-Salam à Khan Younès (bande de Gaza), le 7 avril 2024. (AFP)

« A notre connaissance, il ne reste plus aucun hôpital capable d’accueillir des patients à Khan Younès », déplore Jehad Abu Hassan. Et par extension, dans une large partie du sud de la bande de Gaza. Or, pour venir en aide à la population, son ONG « a besoin de se rattacher à un hôpital fonctionnel ». Après être venus constater l’ampleur des destructions, les déplacés de Khan Younès n’ont d’autre choix que de retourner à Rafah, dans les camps de tentes gérés par l’ONU « ou dans des appartements surpeuplés », précise-t-il.

Seule une dizaine de kilomètres sépare les deux villes, soit deux heures de marche. « Le carburant reste très difficile à trouver, et très cher », signale Pierre Motin. Faute de voiture ou de camion, celles et ceux qui retournent à Khan Younès le font souvent « en charrette tirée par des ânes », ajoute-t-il. Une façon de transporter plus de monde, et de rapporter à Rafah tout ce qui peut l’être.

Bidons, couvertures, matelas, bouteilles de gaz… « Les gens fouillent les décombres à la recherche d’objets utiles, de denrées, ou de cadavres, afin de leur donner une sépulture », explique Pierre Motin, qui évoque les signalements « d’odeur pestilentielle dans les rues ». Depuis dimanche, plusieurs dépouilles ainsi que des crânes humains ont été sortis des ruines, comme l’ont observé des photographes de l’AFP et montré plusieurs vidéos publiées sur les réseaux sociaux, que franceinfo a pu vérifier.

Des habitants de Khan Younès (bande de Gaza) se servent d'un tracteur pour transporter leur chargement, le 8 avril 2024. (AFP)

Pour l’heure, « impossible d’imaginer retrouver un semblant de vie normale » à Khan Younès, « où tout a été réduit en cendres », estime Pierre Motin. Interrogée sur franceinfo, Samira, habitante de la ville, explique que son appartement est inhabitable. « Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, pas d’internet. On est obligés de vivre cette situation », raconte celle qui a quitté Khan Younès début janvier, sur ordre de l’armée israélienne. 

La façade effondrée d'un immeuble d'habitation à Khan Younès, le 7 avril 2024. (JEHAD ALSHRAFI / ANADOLU / AFP)

Parcourir les ruines de Khan Younès peut aussi se révéler dangereux. « Il est tout à fait possible de tomber sur des charges ou des restes de bombes non explosées, alerte encore Pierre Motin. Le manque d’accès à l’eau et la destruction des canalisations fait aussi courir le risque de maladies et de diarrhée aiguë. » Même après le retrait de l’armée israélienne, le niveau de sécurité n’est pas jugé suffisant pour que les humanitaires puissent retourner dans la ville.

« Surtout après le bombardement des équipes de World Central Kitchen« , qui a fait sept morts le 1er avril, explique à franceinfo une responsable d’ONG médicale française, sous couvert d’anonymat. « De toute façon, très peu de gens pourront s’y réinstaller dans l’immédiat. Les besoins restent ailleurs, à Rafah surtout », poursuit cette même source, qui s’interroge sur les possibilités d’aide humanitaire dans la bande de Gaza à court terme. « Même si un cessez-le-feu venait à être déclaré demain, comment les populations pourraient-elles se reloger ? A Khan Younès, Gaza ville ou dans le Nord, il n’y a plus d’infrastructures, plus de fermes, plus de services… Il n’y a plus rien pour accueillir la vie. »

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