Depuis son appel téléphonique avec Vladimir Poutine, le président américain et son administration ne cessent de donner des signes qu’ils entendent trouver un accord avec la Russie, prenant de court leurs partenaires.

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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président du Conseil européen Antonio Costa, le 19 décembre 2024, à Bruxelles (Belgique). (JOHN THYS / AFP)

« Le temps où l’Amérique soutenait l’Europe simplement parce qu’elle l’avait toujours fait est révolu. » Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a mis en garde ses alliés européens contre un potentiel alignement des Etats-Unis avec la Russie, samedi 15 février, dans un discours à la conférence sur la sécurité de Munich (Allemagne). En moins d’une semaine, le président américain Donald Trump a commencé à opérer un rapprochement avec son homologue russe Vladimir Poutine, en vue de négociations sur la fin de la guerre en Ukraine. Une discussion amorcée sans concerter et sans impliquer les Européens.

Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, avait donné le ton de cette stratégie dès le mercredi 12 février. Lors d’un déjeuner à Bruxelles avec ses partenaires de l’Otan, le chef du Pentagone a rappelé que Donald Trump souhaitait mettre un terme au « massacre » en Ukraine, et vite. Mais Washington compte limiter son engagement dans la solution trouvée. Pete Hegseth a ainsi déclaré qu’il appartiendrait aux Européens et à d’autres pays de trouver les garanties de sécurité « robustes », nécessaires au maintien d’une paix « durable » en Ukraine.

Hors de question pour les Etats-Unis d’envoyer des soldats en Ukraine. « Si des troupes de maintien de la paix sont déployées à un certain moment, elles devront l’être dans le cadre d’une mission qui ne soit pas de l’Otan et non couvertes par l’article 5 » de l’alliance militaire, qui prévoit que les pays membres viennent en aide en cas d’attaque contre l’un d’entre eux, a prévenu le chef du Pentagone, mettant la pression sur ses partenaires. Les pays européens devront à l’avenir assurer l’« écrasante » part de l’aide civile et militaire à l’Ukraine, a-t-il ajouté.

Surtout, Pete Hegseth a jugé « irréaliste » d’envisager un retour de l’Ukraine à ses frontières d’avant 2014, c’est-à-dire comprenant la Crimée. Il s’agit pourtant de l’un des objectifs de guerre de Volodymyr Zelensky. De même, une adhésion de l’Ukraine à l’Otan à l’issue des négociations de paix n’est « pas réaliste », a souligné l’ancien chroniqueur de Fox News. Là encore, il s’oppose à une demande de longue date du dirigeant ukrainien.

Quelques heures après ces annonces, Donald Trump s’est entretenu par téléphone avec Vladimir Poutine. Et s’il en a informé Volodymyr Zelensky, il n’a pas cherché à s’entendre au préalable avec lui sur une stratégie de négociations. A l’issue de l’appel, le président américain a pourtant déclaré entrevoir un « cessez-le-feu » en Ukraine « dans un futur pas si lointain », annonçant des discussions « immédiates » avec Moscou à ce sujet.

Washington ne semble pas se soucier d’inclure ses partenaires de l’Otan ou de l’UE dans ces pourparlers. S’il a rencontré Volodymyr Zelensky vendredi 14 février, le vice-président américain J.D. Vance a tout juste mentionné la guerre en Ukraine lors de son discours combatif à la conférence de Munich. « Ce n’est pas une perte de temps » mais « ce n’est pas suffisant », a seulement rapporté le président ukrainien après ces échanges, réclamant « un plan » concerté avec les Européens avant toute discussion avec la Russie.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors d'une rencontre avec le vice-président américain, J.D. Vance, le 15 février 2025 à Munich (Allemagne). (UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP)

L’émissaire spécial du président américain pour l’Ukraine, Keith Kellogg, a pourtant soufflé aux membres de l’Otan, samedi, que les discussions de paix se feraient sans eux. Lors d’un déjeuner avec des responsables européens, il a réitéré la promesse de Donald Trump d’inclure Kiev dans les pourparlers. Mais les échanges impliqueraient, selon lui, « les deux belligérants et un médiateur », à savoir Washington, rapporte Le Monde. D’après le quotidien, si Keith Kellogg a fait le déplacement pour « écouter les Européens » et leurs intérêts, les Etats-Unis ne veulent « pas que [les négociations] prennent la forme d’une grande discussion ».

Washington a ainsi affirmé samedi que plusieurs hauts responsables américains allaient s’entretenir avec des négociateurs russes et ukrainiens, lors d’une rencontre en Arabie saoudite. Les Etats-Unis n’ont livré que peu de détails sur cette réunion, précisant seulement qu’elle serait menée par le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio, le conseiller national à la sécurité Mike Waltz, et l’envoyé spécial pour le Moyen-Orient Steve Witkoff, rapporte Politico. Keith Keilogg, lui, serait absent. Selon le média américain, l’Ukraine a déclaré ne pas avoir été informée de cette rencontre, et ne pas prévoir d’y envoyer une équipe.

Alors que Donald Trump avance à un rythme effréné, comme à son habitude, ses partenaires de l’Otan peinent à se faire entendre sur le dossier ukrainien. Le président américain « n’a pas mentionné une seule fois que l’Amérique avait besoin de l’Europe à la table des négociations », a prévenu Volodymyr Zelensky à Munich. Le chef d’Etat ukrainien a alerté ses alliés sur le risque d’un accord avec la Russie, forgé par les Américains « dans le dos » de Kiev et de Bruxelles. « Je crois vraiment que le moment est venu de créer les forces armées de l’Europe », a martelé Volodymyr Zelensky. Face au risque d’être marginalisés, « je vous exhorte à agir, pour votre propre bien », a-t-il insisté.

« Trump n’aime pas les amis faibles, il respecte la force. »

Volodymyr Zelensky, président ukrainien

à la conférence de Munich

L’inquiétude du président ukrainien est partagée par ses alliés. Mais la réaction se limite, pour l’instant, essentiellement à des déclarations d’intention. L’Europe doit « jouer un plus grand rôle au sein de l’Otan » et travailler avec les Etats-Unis pour « assurer l’avenir de l’Ukraine », a souligné le Premier ministre britannique Keir Starmer samedi. « L’Europe a besoin de toute urgence de son propre plan d’action concernant l’Ukraine et notre sécurité, sinon d’autres acteurs mondiaux décideront de notre avenir », a abondé le Premier ministre polonais, Donald Tusk, sur le réseau social X.

Le président finlandais Alexander Stubb, dont le pays frontalier de la Russie redoute une extension du conflit, s’est montré plus concret dimanche. Au dernier jour de la conférence de Munich, il a détaillé un processus en trois étapes qui, selon lui, devrait encadrer tout accord de paix entre Kiev et le Kremlin. Avant d’ouvrir des négociations, « nous devons réarmer l’Ukraine et mettre une pression maximale sur la Russie », « afin que l’Ukraine commence ces négociations dans une position de force », a-t-il estimé. La deuxième phase impliquerait un cessez-le-feu, pendant lequel des « mesures de confiance » pourraient être mises en place, telles que des échanges de prisonniers ou « la remise des enfants kidnappés » en Ukraine, a-t-il détaillé. Pour assurer le maintien du cessez-le-feu, Kiev serait « à l’initiative, l’Europe en soutien et les Etats-Unis en filet de sécurité ». La troisième étape consisterait à ouvrir les négociations de paix proprement dites, « pour discuter de questions plus compliquées, telles que le territoire, la sécurité, les compensations, la reconstruction ».

« Les Européens doivent prendre plus de responsabilités pour eux-mêmes. (…) Nous devons parler moins et agir davantage. »

Alexander Stubb, président finlandais

à la conférence de Munich

Dans ce contexte, le président français Emmanuel Macron a convié « les principaux pays européens » à une réunion « sur la sécurité européenne » lundi à Paris, a annoncé Jean-Noël Barrot. « Seuls les Ukrainiens peuvent décider d’arrêter de combattre, et nous les soutiendrons tant qu’ils n’auront pas pris cette décision », a assuré le ministre des Affaires étrangères, invité de France Inter. Les Ukrainiens « n’arrêteront jamais tant qu’ils ne seront pas sûrs que la paix qui leur est proposée sera durable » et qu’ils n’auront pas de garanties de sécurité, a-t-il insisté. « Qui apportera les garanties ? Ce seront les Européens », a répété Jean-Noël Barrot. Avant de promettre : « Les Européens seront, d’une manière ou d’une autre, partie prenante aux discussions » pour mettre fin à la guerre en Ukraine.

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