Réalisé par Lee Shulman, ce documentaire pensé comme un road-movie tisse ensemble scènes du quotidien de Martin Parr aujourd’hui, archives et interviews, éclairant sa démarche et son travail, sans oublier les controverses auquel il a donné lieu.

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min

« La photo parfaite n’existe pas. C’est une quête permanente, un défi », résume Martin Parr. « Chaque matin, il faut être convaincu que c’est peut-être le jour où quelque chose va se passer. » Pourtant, cet immense photographe britannique n’a jamais eu besoin que quelque chose se passe. Insatiable curieux, il trouve toujours, où qu’il soit, quelque chose d’intéressant à immortaliser. Appareil photo en bandoulière, il a conservé l’œil rieur, aiguisé, aux aguets, derrière son objectif et, avec son physique ordinaire, il se fond dans la masse.
Cependant, dès les premières images du documentaire I Am Martin Parr, le photographe so British de Lee Shuman, à voir dès à présent sur France.tv, mais aussi vendredi 14 février à 23h00 sur France 5, on est frappés de constater combien l’artiste, âgé de 72 ans, semble avoir pris de l’âge soudainement. Il ne se déplace plus qu’en poussant un déambulateur qui fait aussi office de fauteuil d’appoint. Le grand photographe souffre d’un myélome, une forme de cancer, diagnostiqué en 2021, qui l’empêche de se tenir debout plus de 10 minutes sans souffrir – mais ne l’empêche pas de continuer, inlassablement, à photographier.
En France, il est très apprécié. Dans son propre pays, il a longtemps choqué et n’a pas toujours fait l’unanimité. Des malentendus persistent à son sujet : certains lui reprochent une forme de cynisme, d’autres une certaine condescendance à l’égard de la classe ouvrière britannique, dont il a documenté comme personne le déclin sous l’ère Margaret Thatcher. Mais tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est l' »un des plus grands photographes britanniques de tous les temps ».
Ce film de Lee Shulman, un de ses admirateurs, tisse ensemble scènes du quotidien de Martin Parr, archives et interviews. Il remet ce faisant les idées en place en éclairant sa démarche et son travail et efface les dernières poches de réticence en nous le rendant résolument attachant.
Le documentaire revient d’abord sur la vocation de Martin Parr, survenue très jeune, vers 13-14 ans, auprès d’un grand-père passionné de photographie. Ses premières images en noir et blanc nous en apprennent beaucoup. Elles révèlent déjà un regard singulier, à la fois décalé, tendre et plein d’humour, sur ses semblables.
Ces clichés de jeunesse ont une dimension documentaire, engagée, humaniste, qui conjure les futures accusations de cynisme. Tout son génie est déjà là. Le photographe dit lui-même repenser à sa période en noir et blanc, qui a duré une quinzaine d’années, « avec beaucoup d’affection ».

Au début des années 1980, Martin Parr dit adieu au noir et blanc. Une de ses premières séries en couleur, à une époque où la couleur était encore réservée à la publicité, est aussi l’une des plus célèbres : The Last Resort, réalisée entre 1983 et 1985 dans la petite station balnéaire de New Brighton.
On y voit la classe ouvrière anglaise s’agglutiner en famille, sans complexe et sans façon, étalant ses serviettes sur le béton et les galets des plages jonchées d’immondices, afin de profiter d’un peu de soleil et de repos, si tant est que la marmaille lui en laisse le loisir. Il y a effectivement une forme de cruauté à montrer ainsi, en plans rapprochés, dans des images crues saturées de couleurs et prises au flash en plein jour, ces familles modestes, avides de prendre du bon temps. « Quand je suis passé à la couleur, c’était plus une critique de la société », reconnaît Martin Parr.
Cependant, ses images documentaires, controversées à l’époque et saluées aujourd’hui de toutes parts, ont ensuite exploré toutes les couches de la société anglaise et le tourisme de masse, avec ce même regard, ironique et affectueusement détaché. Un regard qui n’est pas dénué, admet-il, « d’un certain degré de politique » qu’il refuse de préciser, mais où se lit sans ambiguïté un commentaire critique de la culture matérialiste et consumériste contemporaine.
« Mon sujet principal, ce sont les loisirs du monde occidental, toutes classes sociales confondues. (…) C’est le temps libre des gens qui m’intéresse, c’est ça mon sujet principal », révèle-t-il.

Le documentaire évoque sa très envahissante frénésie de collectionneur, notamment de montres à l’effigie de Saddam Hussein, et revient par ailleurs sur le véritable schisme au sein de l’agence Magnum que sa candidature provoqua au tournant des années 1980 et 1990 chez la prestigieuse agence de presse photographique fondée par Robert Capa et Henri-Cartier Bresson. En 1994, il obtint enfin assez de votes pour y entrer.
Au sein de Magnum, les photographes opposés à son arrivée lui reprochaient de ne pas être suffisamment dans la ligne humaniste de l’agence. Pourtant, Martin Parr aime sincèrement le genre humain. « J’ai aimé photographier les gens. J’ai aimé les rencontrer. Ils sont fous. Imprévisibles. Toujours intéressants », s’enthousiasme-t-il. « J’essaye de les comprendre, juste en les regardant. Les vêtements qu’ils portent, leur comportement, leur façon de parler. »
S’il a dû « ralentir » ces derniers temps en raison de la maladie, il reste « fasciné » par le monde et sa folie. « Partout », dit-il, « il y a quelque chose qui m’intéresse, qui me donne envie de faire une photo ». Lorsqu’il était à l’hôpital en soins intensifs, sa femme Susie, qui témoigne dans le film, se souvient qu’elle a su que ce « grand bosseur » était en voie de guérison lorsqu’il s’est remis à prendre des photos. De quoi ? De ses plateaux-repas et du personnel soignant. Autour de Martin Parr, quelque chose se passe toujours qui mérite une photo.
Documentaire « I Am Martin Parr » de Lee Shulman (inédit, 51 minutes), disponible sur france.tv à partir du 30 janvier et jusqu’au 27 juillet 2025, est également diffusé le vendredi 14 février à 23h00 sur France 5.
