Megan Northam et Lubna Azabal se confrontent dans un face-à-face haletant autour de la radicalisation dans « Rabia ». Pour franceinfo Culture, les actrices expliquent pourquoi elles se sont lancées dans l’aventure et reviennent sur ces rôles éprouvants.
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Elles sont Madame et Rabia dans le premier long-métrage de Mareike Engelhardt, Rabia, qui sort en salle le 27 novembre 2024. Rencontre avec un duo intense. Megan Northam et Lubna Azabal sont réunies dans un film sur la radicalisation et la façon dont des milliers de jeunes filles sont embrigadées et exploitées par le groupe terroriste Daech.
Franceinfo Culture : Vos personnages sont émotionnellement, politiquement et socialement forts. Pourquoi avez-vous accepté de les camper ?
Megan Northam : C’est complet. C’est un cadeau d’avoir un rôle comme ça. Un rôle n’est pas juste un rôle écrit ou le choix d’une actrice. Tout réside dans la façon dont on arrive à faire des passerelles entre ce qu’on est et le rôle. Ce qui m’a excité dans ce rôle-là, c’est le fait qu’il soit tellement loin de moi concernant son départ pour la Syrie. Je trouvais qu’il était intéressant d’aller creuser dans ces choses qui ne sont pas dans mon monde et dans ma vie. Mon éducation n’est pas du tout reliée à ces problématiques-là, il me fallait essayer de comprendre, sans juger. J’avais commencé à prendre des notes sur mon carnet quand j’ai rencontré des jeunes filles qui étaient dans cette situation, et je l’ai aussitôt lâché. Il n’y a pas de jugement à avoir parce que c’est un récit de vie. Elles ont vécu ce qu’elles ont vécu. Elles ont fait ce qu’elles ont fait, et elles sont encore en vie aujourd’hui. Je suis bien contente qu’elles le soient. J’adore les prises de risque et c’en était une pour moi.
Lubna Azabal : C’est pour tout ça. Pour des comédiennes, c’est du pain béni. Pour moi, c’était également une prise de risque, sous une autre forme. C’était naviguer dans les méandres du mal, du pouvoir, de la folie et en même temps, du monde des affaires parce que Madame, mon personnage, est une grande businesswoman. Aucune de ces gamines ne s’imagine, à moins d’être son bras droit, qu’à chaque fois qu’elle marie une jeune femme – ou plutôt, qu’elle la fait violer – Madame reçoit une enveloppe. C’est comme dans toutes les grosses structures sectaires. Il y a un discours pour les recrues. On vous empêche de penser, on vous explique comment manger, comment vous habiller, on vous explique comment ça va se passer jusqu’à votre mort et même après. C’est du lavage de cerveau. Avec Madame, on est vraiment pour moi dans le mal hitlérien.
Lubna Azabal, vous avez tourné dans Amal, un personnage qui est le contraire de Madame…
Lubna Azabal : Ce que j’avais dit à Mareike dès le départ, c’est que je ne voulais pas qu’on ait de l’empathie pour ce personnage. Je voulais la caricaturer pour souligner l’absurdité qu’elle représente à mes yeux. À l’opposé, le personnage d’Amal fait référence à l’affaire Samuel Paty. C’est important pour moi qui suis de culture musulmane de pouvoir porter cette parole qui est presque celle de mes parents. Ils ont toujours pratiqué la religion. C’est une façon de remettre l’église au milieu du village. Je ne sais même pas comment le dire. C’est tellement important.
Megan Northam, vous aviez confié que le tournage de Pendant ce temps sur Terre avait été décisif pour vous, notamment quant à votre rapport au corps. Le rôle de Rabia est très physique aussi, le visage du personnage en dit long sur son état esprit. Comment cette expérience vous a-t-elle servie sur Rabia ?
Megan Northam : Ça m’a plutôt aidé à commencer un burn-out. J’ai fait une grosse dépression. J’ai failli ne pas faire Rabia parce que j’étais épuisée des six mois de tournage de Klapisch (Salade grecque), suivi de Pendant ce temps sur Terre qui était très physique et mentalement éprouvant. Je parlais à une voix dans ma tête. Je devais tourner Rabia à une semaine d’écart, puis on a décalé à deux semaines puis à trois… J’ai failli abandonner ce projet parce que j’étais mal physiquement et mentalement. Je sentais que je n’avais plus les armes pour défendre ce rôle qui était un paquebot. C’était horrible parce que je savais que j’abandonnais une équipe et que je laissais passer un rôle plein d’opportunités. Finalement, je suis arrivée sur le tournage de Rabia éclatée. J’étais très amaigrie. Maintenant, je peux le dire : je trouve ça tellement intéressant de voir jusqu’où les humains peuvent aller creuser dans leurs ressources. Après Rabia, j’ai fait une bonne vraie dépression comme il faut : huit mois sans voir personne. Dans n’importe quel rôle que je ferai, j’y mettrai beaucoup de corps. J’ai tout le temps le dos éclaté. On parle souvent des cascades dans le cinéma, mais il y a aussi des rôles comme Rabia. Il a été éprouvant physiquement à cause de cette posture de soldat qu’elle a.
Comment avez-vous travaillé ce rapport dominé-dominant entre Rabia et Madame ?
Lubna Azabal : Nous n’avons pas répété, Megan et moi. Nous nous étions rencontrées pour de vrai. Mais nous avions envie de garder la fraîcheur de nos rôles respectifs : Rabia dans sa naïveté qui veut rencontrer Madame, et moi dans celle qui va avoir un regard extrêmement dur sur elle. Megan et moi avons le même instinct. Nous sommes passionnées. Nous aimons notre métier.
Megan Northam : Ça m’impressionne toujours de travailler avec une actrice qui a une plus longue carrière que moi et qui, du coup, a toujours la dalle sur un plateau. Il n’y a rien de pire que de travailler avec un acteur ou une actrice de 50 ans qui n’a plus envie d’être là. Ce n’est pas cool pour ceux qui débarquent. Lubna a été hyper généreuse sur le plateau. Nous étions dans le même bateau.
Lubna Azabal : On ne se lâche pas. Megan a été forte parce qu’elle était parfois à la limite du burn-out. C’est quelqu’un qui me fait penser à moi. On y va, malgré nous, à 120%.