Dans les finales universitaires de natation à Indianapolis (Etats-Unis), Léon Marchand a encore brillé : deux nouveaux titres ce vendredi (400 yards 4 nages et le relais du 4×100 yards 4 nages). Le tout sous les yeux d’un autre grand nom de ce sport : Rowdy Gaines, triple champion olympique et aujourd’hui commentateur pour la chaîne ESPN.
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En 1984, chez lui aux Etats-Unis pour les Jeux olympiques de Los Angeles, Rowdy Gaines s’était offert 3 médailles, dont celle sur la distance reine du 100m nage libre. Aujourd’hui, à 65 ans, celui qui est aussi quintuple champion du monde est commentateur pour ESPN : il s’apprête à vivre ses 9èmes JO dans ce rôle et il suit de près les exploits répétés de Léon Marchand, comme lors de ces finales universitaires où il confesse, dans un entretien pour franceinfo, son admiration pour le Français.
franceinfo: Êtes-vous encore plus impressionné par Léon Marchand que l’année dernière ?
Rowdy Gaines : C’est le meilleur nageur de la planète actuellement, sans aucune discussion possible. Il sait absolument tout faire, et pas seulement en individuel, il peut aussi apporter sa contribution dans les relais. La France possède déjà de super relais, mais avec Léon, ils peuvent les consolider pour aller jouer la médaille. Il y en a un comme lui par génération : il y a eu Johnny Weissmuller, Mark Spitz, peut-être Ian Thorpe, puis Michael Phelps, et aujourd’hui donc, Léon Marchand.
Qu’est-ce qui le rend si spécial ?
Déjà, il a reçu de bons gènes, surtout grâce à son père, c’était un athlète incroyable. Ensuite, de ce que j’ai vu de Léon jusqu’ici, c’est un nageur très humble. Bien sûr qu’il est affamé mais il n’essaie pas d’impressionner qui que ce soit. Il fait juste ce qu’il a à faire. Et je pense que s’il garde cette humilité et cette élégance, il ira loin. J’espère que ça ne lui montera pas à la tête. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Et quand bien même, s’il prenait la grosse tête, je ne lui jetterais pas la pierre, il le mérite presque. Au-delà de son éthique de travail, il est incroyablement aquatique. En 2002-2003, je disais la même chose de Michael Phelps, c’était quelque chose que je n’avais encore jamais vu. Et Léon a cette qualité aussi. À sa manière.
L’an passé, Léon Marchand avait commencé à se faire un nom ici aux Etats-Unis. Ses titres de l’été dernier aux championnats du monde (3 médailles d’or à Fukuoka) et le record du monde du 400m 4 nages qu’il a battu devant Michael Phelps l’ont-ils rendu encore plus célèbre ?
Aujourd’hui, il mérite la comparaison avec les meilleurs nageurs de l’histoire. Il n’est pas encore tout à fait sur le mont Rushmore ! Pour y figurer selon moi, il faut avoir gagné des médailles d’or [olympiques] en individuel, c’est le juge de paix pour intégrer la caste des plus grands. Ça et les records du monde, les titres mondiaux et la longévité dans son sport. C’est pour ça que Michael Phelps, Katie Ledecky sont les meilleurs : ils ont gagné des médailles d’or en individuel, ils ont battu des records du monde et aussi grâce à la longévité de leur carrière. Léon Marchand a désormais un record du monde, ça fait déjà un critère de rempli. Mais le critère ultime, ce sont les médailles d’or olympiques. Si on y pense, ce n’est pas juste, on ne devrait pas raisonner ainsi, mais c’est comme ça. C’est la loi du sport. C’est pareil chez nous avec le Superbowl. Si vous ne remportez pas le Superbowl, vous n’êtes pas considérés comme les meilleurs ! Pareil avec la Coupe du monde en football : vous pouvez être le meilleur footballeur que ce sport a jamais eu, mais si vous n’avez pas remporté la Coupe du monde, vous êtes très bon… mais pas le meilleur.
Sur quels points avez-vous noté les progrès de Léon Marchand ?
Il est devenu plus fort physiquement il n’y a pas de doute. Sa force est bien meilleure. Il a énormément amélioré ses coulées et je ne pensais pas que ce soit possible à ce point. Mais ses parties sous-marines sont meilleures. Et son crawl s’est automatiquement amélioré, ce qui va fortement l’aider sur la fin de son 400m 4 nages. Le dernier 100m de son 400m 4 nages à Paris sera incroyable. C’est quelque chose que Bob va devoir préparer avec lui, sa deuxième moitié de course. Sa première partie est si bonne donc il n’est pas question de la remettre en question. Son dos s’est beaucoup amélioré grâce à sa force et son endurance. Il travaille dur pour ça. Je sais à quel point ils travaillent dur ensemble. Et avec son don, il a tellement de chance, il sera dur à battre cet été.
Vous serez à Paris pour commenter les Jeux olympiques. Combien de médailles d’or Léon Marchand peut-il remporter ?
Les changements du calendrier l’ont aidé concernant les finales du 200m papillon et du 200m brasse. Malheureusement, ça va dépendre de qui s’alignera sur ces distances. Nous connaissons tous le détenteur du record du monde sur 200m brasse, ce gamin chinois (Qin Haiyang) ou 200m papillon (Kristof Milak). Si les deux sont là, ce sera difficile de battre l’un ou l’autre. Léon Marchand sera bien sûr le grandissime favori pour les 200m 4 nages et 400m 4 nages.
« Sur le papier, il n’a aucun rival. Si je dois parier, si tu me pousses du haut de la falaise pour que je donne un pronostic maintenant, je dirai qu’il va gagner 4 médailles d’or. »
Rowdy Gainesà franceinfo
Est-ce que c’est un risque pour lui de disputer ces deux courses, le 200m brasse et le 200m papillon puisque les finales ont lieu le même jour ?
Pas pour lui parce qu’il est taillé pour ça. Il est comme Michael Phelps. Il faut se rappeler : Phelps a nagé 17 fois en 8 jours aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Et en 2004 aussi. Et Marchand nage avec l’entraîneur qui a formé Phelps pour ça (l’Américain Bob Bowman, ndlr). Je pense donc que cet entraîneur, sur la base de son histoire avec Phelps, sait comment procéder avec lui. À Pékin, Phelps savait où il devait être à chaque minute. Laissez-moi vous raconter une anecdote : il était assis autour du bassin d’échauffement, il est resté là pendant 5 minutes. Bob vient le voir et lui demande ce qu’il faisait là, pourquoi il n’était pas dans l’eau. Et il lui répond : « Il me reste encore 1 minute et 30 secondes avant de me jeter à l’eau. » Tout était minuté. Et ce sera la même chose pour Léon Marchand. Croyez-moi : il n’y a aucun risque pour lui de doubler ce genre de courses.
Que ressentez-vous quand vous commentez une de ses courses ?
J’aimerais vous dire que je n’ai jamais vu ça. Mais ce seront mes neuvièmes Jeux olympiques en tant que consultant, j’en ai disputé une édition. Donc j’ai vu ça déjà avant, avec Michael (Phelps), avec Katie (Ledecky) ou encore Ian Thorpe qui est l’un de ceux qui me reviennent en tête. J’ai vu quelques individus que l’on n’a qu’une fois par génération. Et quand vous en avez un sous les yeux, vous appréciez vraiment. Vous appréciez aussi le chemin qu’il a parcouru pour en arriver là, l’exigence mentale et physique que ça demande dans notre sport. Je dirais que notre sport a ça peut être plus encore que d’autres, sur les valeurs qu’il vous enseigne tous les jours. C’est un gars qui sait déjà qu’il va nager à Paris aux Jeux olympiques. Ça pourrait être un poids énorme mais ça ne l’est pas. Il reste lui-même, il est très calme, très gentil, très humble. Tout ce que je recherche chez un nageur hors de l’eau, il coche les cases. On peut dire un million de choses sur ce qu’il fait dans l’eau. Mais hors de l’eau, il est aussi spécial.
Vous étiez à côté de Michael Phelps à Fukuoka, lors des Mondiaux en 2023 au Japon, quand Léon a battu son record du monde du 400m 4 nages. Qu’est-ce qu’il vous reste de ce moment ?
On commentait ensemble cette course mais je n’ai pas beaucoup parlé. C’est sa course ! Il était vraiment heureux et fier. Je pense que Michael est aussi fier que son entraîneur soit l’homme qui entraîne Léon. Et il a aussi compris les capacités de travail de Léon. Michael n’aime pas les nageurs qui n’ont pas une éthique de travail. Il faut avoir ça pour qu’il soit impressionné. Et je pense qu’il sait que Léon a ça, ce qui rend les choses magnifiques pour Léon et Michael parce qu’ils savent l’un et l’autre ce qu’ils ressentent. Même si Michael n’a jamais disputé de Jeux à domicile, il a nagé à de multiples reprises dans des environnements avec énormément de pression sur lui. Particulièrement après Athènes en 2004 et avant Pékin en 2008. Donc il y a une sorte de filiation entre lui et Léon. Ils sont connectés spirituellement.