Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme et membre du GIEC.

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"Pour agir on a besoin de bien comprendre". Photo d'illustration (LAURENCE DUTTON / E+)

Au Mexique, c’est une ancienne membre du GIEC, Claudia Sheinbaum, qui vient d’être élue présidente. Elle a notamment participé en tant qu’auteure aux quatrième et cinquième rapport. Ce n’est pas la seule, d’ailleurs, à exercer des responsabilités politiques : la ministre de l’Environnement du Chili, a participé à la rédaction du 6ème rapport du GIEC. Et jusqu’à sa nomination, elle dirigeait le principal laboratoire de recherche sur le climat au Chili.

Mais en France, c’est tout le contraire : les chercheurs se plaignent de ne pas être écoutés par les politiques…

François Gemenne : C’est effectivement un refrain qu’on entend souvent, et le contraste avec ces deux cas en Amérique latine est saisissant : on a là deux scientifiques qui sont à des postes à responsabilités, et en France les scientifiques se plaignent d’être ignorés. J’avoue que ne pas du tout partager cette impression : au contraire, ils sont très écoutés.

Il ne faut pas confondre « être écoutés » et « être entendus ». On peut déplorer que les travaux scientifiques ne soient pas suivis d’effets, mais on ne peut pas dire qu’ils soient ignorés. Les travaux du GIEC sont cités dans presque tous les discours politiques sur le climat, et les chercheurs ont même donné des formations sur le climat aux députés, il y a deux ans.

Il n’en reste pas moins une grande frustration : le sentiment de ne pas être « entendus » – ce qui est peut-être encore pire quand on est écouté. Ainsi, de plus en plus de chercheurs témoignent dans les médias de leurs états d’âme, se sentent impuissants et déprimés. Certains même se révoltent et rejoignent des mouvements de désobéissance civile : c’est le cas d’un groupe comme « Scientifiques en rébellion », par exemple, qui est un petit frère d’ »Extinction Rebellion ».

Un bon scientifique ne sera pas forcément un bon décideur. Globalement, en France, les scientifiques sont peu investis dans la politique et les campagnes électorales. L’engagement est délicat, parce que les scientifiques eux-mêmes ne sont pas neutres, et il est important que la science apparaisse comme neutre dans le débat public.

« Je pense que l’engagement des chercheurs est important, mais qu’il est également important que la science ne soit pas politisée. »

François Gemenne

à franceinfo

C’est pour ça que je pense que les chercheurs doivent s’engager avant tout comme citoyens, sans blouse blanche ni argument d’autorité.

Je pense qu’il y a un malentendu fondamental. Beaucoup de mes collègues, et la quasi-totalité des militants sur le climat, pensent que leur rôle dans le débat public consiste surtout à alerter sur la gravité du problème, sur l’urgence à agir. Donc ils vont multiplier les alertes, pour qu’un maximum de gens prennent conscience de ce qui se passe. Il pense qu’une fois qu’on aura pris conscience de ce qui se passe, on aura vraiment peur de l’avenir, on va se décider à agir. Et je crois que c’est là qu’on fait fausse route, pour trois raisons :

D’abord, je pense qu’il faut réaliser qu’on a franchi une étape. Désormais, la conscience est là : 85% des Français se disent inquiets ou très inquiets des conséquences du changement climatique. Et puis le changement climatique lui-même se charge désormais de nous rappeler la gravité du problème, il n’a plus besoin d’intermédiaires.

Ensuite, il serait naïf de penser qu’il suffit d’être conscient d’un problème pour agir. Souvent ce n’est pas le manque de connaissance qui nous empêche d’agir, c’est un manque de volonté politique, ou d’intérêt économique.

Et enfin ça fait peser un poids très lourd sur les épaules des gens, qui peut être culpabilisateur ou générer de l’anxiété, voire de l’angoisse.

Il me semble qu’on progresserait collectivement si la parole des scientifiques sortait du dépit dans lequel elle s’enferme parfois – qui risque d’induire des renoncements, et explorait davantage deux directions :

– La première, c’est celle de l’explication. Je suis toujours frappé de voir combien il y a beaucoup d’aspects qui restent méconnus, ou mal compris du public. Et pour agir on a besoin de bien comprendre.

« L’alerte est souvent un peu superficielle, et ne permet pas de comprendre les ressorts profonds du système climatique. »

François Gemenne

à franceinfo

– La seconde, c’est celle des solutions. Je pense que les gens, comme les entreprises, ont besoin de savoir comment agir, ce qui est efficace.

Mais le problème, si vous pointez les solutions, si vous saluez les progrès et les avancées, c’est que vous passez rapidement pour un naïf qui minimise la gravité du problème. Vous passez pour un « rassuriste qui ne croit qu’à la technologie » etc. Comme votre discours dénote, vous passez vite pour un traître à la cause, un forcené de la méthode Coué. C’est un reproche qui m’est souvent adressé, par exemple, il y a même des gens qui m’ont demandé si j’avais déjà lu les rapports du GIEC…

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