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A l’occasion du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle qui se déroule à Paris lundi et mardi, France 2 dédie une soirée spéciale à l’IA, avec la diffusion d’un documentaire sur la face cachée de ce processus technologique.
A l’évocation de l’intelligence artificielle, l’imaginaire s’emballe, oscillant entre fascination et inquiétude face à cette nouvelle technologie susceptible de bouleverser nos sociétés. Cette révolution offre des opportunités prometteuses, notamment pour la recherche scientifique et médicale, mais dans le même temps menace de mettre en péril certains emplois et fait craindre un usage détourné au service de la désinformation, de la manipulation politique et de la criminalité. Si l’utilisation de l’IA, ses avantages et ses inconvénients concentrent toute l’attention, les conditions de sa production, souvent occultées à dessein par les géants de la tech, sont rarement interrogées.
Un documentaire, intitulé Les Sacrifiés de l’IA, réalisé par Henri Poulain et diffusé sur France 2 mardi 11 février à 22h40, s’est glissé dans les coulisses de sa fabrication. Il en dévoile la face sombre, notamment les coûts énergétiques et environnementaux colossaux des datacenters (centres de données) qui abritent ces nouvelles technologies. Le film s’attarde surtout sur les terribles conditions de travail des petites mains, nécessaires au développement de ces systèmes informatiques.
L’objectif de l’IA est de permettre à des systèmes informatiques de penser et d’agir comme des êtres humains. Pour autant, ces intelligences artificielles, qui se développent de façon exponentielle, ont besoin de milliards de données afin que leurs algorithmes puissent être développés. Et pour les entraîner, la composante humaine est indispensable. Selon un rapport de la Banque mondiale paru en 2023, il y aurait entre 150 et 430 millions de data workers (personnes qui travaillent avec des données) dans le monde. Pour ce travail de l’ombre, des « petites mains » sont employées dans des pays du Sud. Venezuela, Argentine, Brésil, Liban, Syrie, Kenya… Là où les géants de la tech ou leurs sous-traitants recrutent, le chômage est souvent massif, les salaires très bas et le droit du travail, parfois inexistant.
Faustine Makira vit à Nairobi, au Kenya, et a travaillé pendant trois ans pour une grande plateforme américaine. Elle était chargée d’analyser des textes et de visionner des images extrêmement violentes des heures durant, afin de renseigner des données indispensables aux IA qui doivent apprendre à ne pas imiter des comportements humains définis comme problématiques. Elle témoigne dans le documentaire des conséquences traumatisantes de son travail.
« Au début je ne voyais pas ça comme quelque chose de pénible, mais avec le temps, je me suis rendu compte que je faisais des cauchemars, surtout quand je visionnais des affaires de meurtres ou de viols. Plus particulièrement des viols sur des mineurs ou des enfants. »
Faustine Makira, ancienne « data worker »dans le documentaire « Les Sacrifiés de l’IA »
Au fil du temps, la jeune femme, de plus en plus angoissée, s’isole, puis sombre peu à peu dans une profonde dépression, au point de ne plus être capable de sortir de chez elle. Elle décide alors de démissionner, mais a interdiction absolue de parler des tâches qu’elle effectuait et de nommer les entreprises pour lesquelles elle travaillait. « Ils m’ont fait signer une clause de confidentialité (…) Si je les divulgue, je risque des poursuites et dix ans de prison », glisse Faustine Makiba.
Par précaution, d’autres « petites mains » de l’IA témoignent dans le documentaire sous couvert d’anonymat. Dans les locaux des sous-traitants des grandes plateformes, les employés sont obligés de suivre des règles drastiques, sur fond de cadences infernales. Ils ont parfois interdiction de communiquer avec leurs collègues et d’évoquer l’objet de leur travail.
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« Il y a aussi beaucoup de solitude et demander de l’aide, c’est difficile, parce qu’on travaille sur des contenus pour lesquels on a signé un accord de non-divulgation. (…) Tu ne peux pas expliquer clairement la situation à ta femme par exemple, et petit à petit ce genre de contenus finit par détruire les familles », explique un travailleur africain en grande souffrance psychologique. Il a fini par démissionner, après avoir appris qu’un de ses collègues avait assassiné toute sa famille.
Quitter son emploi est souvent une décision très difficile à prendre, dans un pays gangrené par le chômage et où plus de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Les grandes entreprises savent très bien ce qu’elles nous donnent comme contenus, mais elles font comme si elles ne le savaient pas, ajoute anonymement un autre employé. Elles savent que si elles nous payent 10 ou 20 euros, on va accepter parce qu’on n’a rien d’autre (…). Nous, en Afrique, on est les sacrifiés de ce processus. »
Le documentaire intitulé Les Sacrifiés de l’IA, réalisé par Henri Poulain, est diffusé mardi 11 février à 22h40 sur France 2 et sur la plateforme france.tv.